Nina Van Horn
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST


  
Nina sur ton nouvel album tu rends hommage au pionnières du Blues qui, finalement, étaient les premières stars du genre. Comment cette idée t’est-elle venue ?
Tu sais que je suis un peu une de tes concurrentes car j’anime, moi aussi, une émission de radio ("Nina on the rocks" sur la webradio W3 Blues Radio, Nda). Tous les mois je raconte l’histoire d’une femme du Blues. A force de faire cela, j’ai découvert des textes très intéressants et des personnalités attachantes.
Je me suis dit qu’elles méritaient plus qu’une émission de radio. C’est ainsi que l’idée a germé en moi…

Une idée née en collaboration, je crois, avec Phil Bonin. Peux-tu revenir sur votre rencontre ?
Je connaissais déjà Phil car c’est lui qui a créé W3 Blues Radio avec Mike Lécuyer (voir interview ICI). Il m’a demandé, un jour, si je ne voulais pas participer à cette aventure. J’ai répondu « pourquoi pas ? » mais je ne voulais pas me contenter d’uniquement passer des disques. Il m’a donc proposé de réaliser une émission articulée autour des femmes. J’ai pensé que c’était une bonne idée…

C’est ainsi que j’ai eu la « révélation » et que j’ai tenu à enregistrer un CD sur ces « bonnes femmes ». De ce fait, j’ai naturellement pensé à Phil pour le produire car j’avais adoré la façon dont il avait fait les arrangements sur son dernier disque. Notamment une version, que je conseille à tout le monde d’écouter, de « Stones in my passway » (titre de Robert Johnson datant de 1937, Nda) qui mêle à la fois des boucles modernes et des instruments acoustiques.

J’ai trouvé que ce mélange d’anciens et de nouveaux rythmes correspondait au son que je recherchais. Je suis arrivée avec ma petite idée en tête et il m’a immédiatement suivie et soutenue dans ma démarche. C’est comme cela que ça a débuté…

Comment s’est fait le choix des morceaux et des artistes repris sur ce disque ?
Cela a été très dur…
Depuis près de trois ans que j’anime cette émission, j’y ai passé un bon nombre d’artistes…
Elles me sont toutes plus ou moins attachantes via leurs vies ou les textes de leurs chansons. Au départ, notre première sélection s’est portée sur 18 chanteuses. Cela aurait fait un CD trop long…

Finalement nous sommes revenus à 13 chanteuses que nous avons sélectionnées par leurs titres…
Je les ai choisies en fonction des thèmes que je voulais évoquer. Parmi ceux-ci: la ségrégation, l’alcoolisme, le lesbianisme, l’amour etc…

Cela n’a pas dû être facile de trouver une cohésion entre tous ces sujets qui sont très différents. Tu passes de sujets graves à des thèmes plus graveleux…
Je voulais choisir les thèmes qui me semblent les plus importants. Il était très culotté de parler de la drogue, de la ségrégation ou de l’homosexualité dans les années 1920-1930...
Elles ont toutes écrit sur l’amour. Que ce soit d’une façon tragique comme Victoria Spivey et Ma Rainey ou d’une façon extrêmement graveleuse comme tu l’as dit. Ces femmes n’avaient pas peur des mots…

Je voulais démontrer que ces textes pourraient dater d’aujourdhui. Leurs mots sont toujours d’actualité…
J’avais peur, qu’au final, il en résulte un CD assez sombre car nous y abordons des sujets très graves. Quand Billie Holiday parle du lynchage dans « Strange fruit » en évoquant des yeux exorbités, des bouches tordues, la senteur des magnolias mêlée à celle de la chair brûlée; ça fait vraiment froid dans le dos…
Quand je chante cette chanson il y a toujours un silence total qui s’instaure dans la salle…

Si je craignais qu’une telle succession de sujets graves puisse ternir le CD, je me suis aperçue que ces chanteuses avaient l’art d’aborder la chose d’une toute autre manière. Ainsi, pour la ségrégation, Billie Holiday l’aborde avec un texte dur, froid et sombre alors qu’Alberta Hunter dit des choses comme « Regardez ce que le soleil a fait à ma peau. Je suis, peut-être, aussi noire qu’une mûre mais mon chéri quand tu auras éteint la lumière tu ne verras pas la différence ».

Pour moi elles parlent toutes les deux de la même chose mais sous un autre angle. Cela démontre la formidable vitalité de ces femmes et la façon qu’elles avaient de rebondir et de pouvoir s’exprimer même quand la situation était difficile.

L’audace de ces femmes va parfois assez loin. Penses-tu que les artistes actuels, comme toi, pourraient utiliser les mêmes mots dans leur écriture ?
Tu sais quand j’ai choisi « Dirty T.B » (la sale tuberculose), le titre écrit par Victoria Spivey, j’ai retrouvé pratiquement les mêmes mots que les miens dans « Malika ». J’ai écrit sur la solitude d’une femme qui avait le Sida alors qu’elle avait écrit sur une femme seule qui meurt de la tuberculose. C’est la même compassion…

J’aurais aimé écrire beaucoup de ces chansons qui restent actuelles. C’était très fort, de leur part, de le faire à cette époque. C’est ça qui me les a rendues vivantes et j’ai voulu les rendre encore plus vivantes…
Nous avons gardé les mélodies et les textes mais changé de nombreuses choses derrières…

Je n’ai pas souhaité faire du copier-coller, j’ai voulu faire de ces vieux textes et de ces vieilles musiques des choses qui soient très actuelles. Nous avons rajouté des boucles, du binaire nous sommes passés au ternaire ou vice versa. Enfin je leur ai bien tordu le cou à ces morceaux, sauf certains qui étaient « intordables »…
Pour ces derniers, il fallait absolument leur laisser leur forme de ragtime ou de boogie…

De toutes les artistes que tu as pu reprendre sur ce CD. Desquelles te sens-tu la plus proche en finalité ?
Je les aime toutes…
C’est très difficile, pour moi, de répondre à une telle question.

Ma préférence va peut être à Alberta Hunter pour son courage. C’est une fille qui s’est accrochée toute sa vie. A la fin elle parlait 5 langues alors qu’elle n’avait pas eu l’opportunité de faire des études. Elle s’était expatriée des Etats-Unis car elle en avait marre de rentrer par les portes de service. Du coup elle a donné un grand élan international à sa carrière en allant chanter au Brésil, en Russie etc…

Je me reconnais un peu en elle même si je n’ai pas eu, Dieu merci, à souffrir de ségrégation. Par contre, à son image, j’ai cette envie d’aller partout, de faire mes valises en permanence, d’apprendre des langues, de connaître les gens…
J’essaye aussi de parler de sujets qui me touchent dans mes chansons. Finalement, nous avons de nombreux points communs…

Peux-tu me présenter les différents intervenants que l’on retrouve sur ce disque. Aussi bien au niveau des musiciens que des invités ?
Les invités se sont « imposés » à moi comme une évidence. Au fur et à mesure que nous enregistrions les morceaux avec Phil Bonin et le directeur du label Ouistiti Phil Rubio. Au début de l’aventure, je lui avais demandé un micro. Il m’a répondu : « Tu rigoles ! Ce n’est pas un micro que je vais te prêter mais un studio ! ». Je souhaitais, parfois, y ajouter de nouveaux instruments. Ainsi, à un moment, je voulais un grand guitariste spécialisé dans le Dobro.

C’est à un des pères français du Blues que j’ai pensé alors, Patrick Verbeke (plusieurs interviews sont consultables sur le même site, la dernière en date ICI), qui a immédiatement répondu présent. Quand j’ai voulu de l’harmonica j’ai immédiatement pensé à Jean-Jacques Milteau qui a aussi répondu oui sans même se soucier de connaître la teneur du cachet. Il m’a simplement répondu « c’est quand ? » et il est arrivé…

Sur « Dirty TB » je voulais renforcer cette impression de solitude et je voyais un violon ou un violoncelle en accompagnement…
Un ami de l’orchestre national d’Ile de France qui n’avait jamais fait de Blues et qui était mort de trac s’est ajouté à la liste. C’était drôle de voir quelqu'un - qui a l’habitude de déchiffrer des partitions entières bien plus compliquées que des titres de Blues - avoir un tel trac lorsqu’il s’agit d’improviser.
Jean-Marie Gabard m’a donc fait le plaisir de venir jouer et de rajouter la note de tristesse ou de profondeur qui manquait à ce morceau.

Sur deux titres j’ai vraiment voulu conserver l’aspect voix-piano sans rien y ajouter, conservant ainsi l’aspect Ragtime ou Blues original. Je me suis un peu plus « foutue à poil » que d’habitude dans ce CD (rires). Donc en pensant « piano » j’ai décidé d’inviter Tom Mc Lung (  accompagnateur d'Archie Shepp, Nda) qui était déjà venu sur un de mes précédents albums. Sur d’autres titres il manquait une trompette, qui dit trompette sur Paris dit Boney Fields…
Tous ces intervenants ont été une évidence. Je les remercie !

Ce concept « Hell of a woman » va aussi se décliner en un livre. Que peux-tu dire pour présenter cet ouvrage à venir ?
Je me suis rendu compte que toutes les informations que l’on pouvait trouver sur le net ou ailleurs sur ces femmes étaient très succinctes. Il avait l’air de manquer beaucoup d’informations sur elles…
Voulant les rendre plus vivantes j’avais ce projet de livre en tête avant même de savoir que j’allais enregistrer ce CD…
C’est durant les sessions de ce dernier que j’ai souhaité donner de nouvelles informations. J’ai écrit leurs vies en fonction des éléments dont je disposais.

Pour Lil Green, par exemple, nous savions simplement qu’elle avait fait de nombreuses chansons dans les années 1920 et qu’elle est morte d’une pneumonie à l’âge de 35 ans. Le livre se décline en plusieurs chapitres, chacun d’entre eux est consacré à une artiste. A la fin de chaque chapitre, je reprends les paroles du ou des titres présents sur le CD en expliquant mon choix. J’ai essayé de choisir les morceaux qui représentaient le plus leurs créatrices.
J’espère avoir fait le bon choix pour chacune…

Cet ouvrage est un bon complément au CD et j’espère qu’il sortira au mois de mai 2009. Il sera très bien distribué dans les librairies par La Société des Ecrivains.
Comme le disque, le livre s’intitulera « Hell of a woman » que l’on peut traduire par « putain de bonne femme » …

Bien sûr ce concept va être présenté sur les routes de France et d’ailleurs. Je crois qu’à cette occasion tu « réinventes » ton tour de chant. Que comptes-tu faire sur scène pour mettre en valeur « Hell of a woman » ?
Cette fois-ci j’ai eu envie de raconter plus d’anecdotes et de faire en sorte que ce ne soit pas juste un concert. Le terme « conférence-concert » est pompeux et je ne vais pas être derrière un pupitre en train de raconter l’histoire…
Je me suis aperçue que le fait de raconter les principales étapes de la vie de ces chanteuses touchait les gens.

Par exemple évoquer la disparition tragique de Bessie Smith puis interpréter un titre emblématique de sa déchéance « Me and my gin » procure beaucoup d’émotion et permet au concept de prendre toute sa dimension. Si j’arrive et que je me contente de chanter le titre, les gens ne seront pas touchés de la même manière…

J’ai commencé à tester le show et je suis très contente des réactions des spectateurs, ils passent du rire aux larmes…
En tout cas je fais en sorte de donner de l’optimisme et de ne pas rendre le spectacle triste. La période à laquelle nous vivons l’est assez et nous avons tous le moral au ras des chaussettes. Il est donc inutile d’en rajouter une couche. Je crois que j’arrive à rendre ces femmes encore plus vivantes et j’espère, qu’à la sortie, quelques-uns iront acheter les disques de ces femmes. Pour une fois je m’efface; finalement, ce sont elles qui font le show…

Avec quel groupe vas-tu partir en tournée ?
Julien Audigier vient d’incorporer le groupe, c’est un batteur et un percussionniste qui apporte aussi des touches plus typiques en pratiquant le washboard etc…
Il « habille » sans en mettre de trop et c’est ce que je recherchais…

Il y a Marten Ingle qui vient de San-Francisco, il joue de la guitare, de la basse et chante très bien. Il m’apporte les « backing vocals » dont j’avais besoin. J’ai conservé le guitariste Mar Todani qui est devenu un incontournable, faisant toujours exactement ce qu’il faut à la guitare électrique ou acoustique. Phil Bonin se joindra, ponctuellement, à nous pour des Festivals ou des plans plus importants…

Aux claviers il y aura Fabien Saussaye ou Damien Cornelis qui est un petit jeune qui a bien compris le sens de la musique. Je vais emmener cette belle équipe en Afrique en mai 2009. Nous partirons à l’hôtel Méridien de Dakar. Cela me fait un peu rire car ça fait longtemps que je frappe à la porte du Méridien (Jazz Club Lionel Hampton) de Paris afin d’y jouer. Je n’ai jamais été programmée car j’ai, soit disant, trop de tatouages…

Personne n’est prophète en son pays et je suis heureuse de raconter l’histoire de mes « bonnes femmes » au Méridien de Dakar puis dans tous les centres culturels français du Sénégal, du Mali, de la Gambie et peut être du Niger. Avant cette interview je me suis fait vacciner à 6 reprises, je ne sais plus trop comment je m’appelle (rires) !

Tu me disais que tu allais te rendre au Mali qui est réputé comme étant le berceau du Blues. Est-ce un symbole particulier, pour toi, d’aller jouer là-bas ?
Quand j’ai appris cela je me suis dit que c’était une espèce de retour aux sources et que je bouclais la boucle pour toutes ces femmes. Elles ont tellement cherché à raconter leurs histoires au-delà de leurs frontières…
Alberta Hunter, par exemple, était même venue remplacer Josephine Baker au Casino de Paris quand cette dernière était malade. Cela avait duré 1 semaine dans les années 1930...

Le fait de retourner en Afrique pour parler de ces femmes me fait très plaisir…
Je vais également faire des concerts en Italie, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne etc…
Ce show est en train de m’ouvrir beaucoup de portes. C’est une bonne opération pour moi mais ça me fait tellement plaisir d’aller raconter l’histoire de ces chanteuses un peu partout.

Parallèlement à « Hell of a woman » as-tu continué à écrire ? Des compositions personnelles sont-elles prêtes pour le futur ?
Oui, je dirais même que cela m’a « boostée » !
Il n’y a que le premier titre de « Hell of a woman » qui est une composition personnelle. Il s’agit de « Sisters, sisters », car je les ressens comme des sœurs. Moi aussi je suis noire à l’intérieur…

J’ai donc beaucoup écrit, j’ai fait un « stock » de textes qui attendent des mélodies.  Avec Marten Ingle nous commençons justement à y travailler. Je pense, à nouveau, réaliser un album concept la prochaine fois mais je ne sais pas encore quel en sera le thème…
Prochainement je verrai, moi aussi, la lumière et me dirai « voilà, ce sera ça l’idée directrice ! ».

Cela intervient toujours après un choc. Il me faut donc attendre d’être choquée ce qui ne saurait tarder car il y a de plus en plus de raisons de l’être quand on voit ce qui se passe à travers la planète.

As-tu une conclusion à ajouter ?
Penchez-vous sur ces « bonnes femmes » que vous aimiez ou non Nina Van Horn. Elles méritent vraiment le détour, c’est autre chose qu’une voix surannée de femme chargée de bijoux avec des plumes sur la tête. Ces femmes étaient autre chose…

Il s’agissait de vraies journalistes. Quand on compare ce qui a été écrit à la même période par des hommes on comprend très vite qu’elles avaient les deux pieds dans leur époque et qu’elle décrivaient vraiment ce qu’elles pensaient.
En attendant la distribution du disque, qui se fera probablement avec Harmonia Mundi, vous pouvez vous le procurer en envoyant un mail wolfproductions@wanadoo.fr

Maintenant que j’ai fais mon petit quart d’heure de pub je vous embrasse tous et espère vous retrouver très vite. Je voulais aussi ajouter que je suis de tout cœur avec ceux qui perdent leur job à cause de gens qui ne pensent qu’à leur propre profit. Je suis vraiment de tout cœur avec vous !

http://www.myspace.com/ninavanhorncom
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Interview réalisée
au Bar du Concorde
Lafayette à Paris
le 10 avril 2009

Propos recueillis
par David BAERST

En exclusivité !

 

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